Ollivier Pourriol, philosophe en carton

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Ollivier Pourriol (OL) répond bêtement à une question stupide : « Le graffiti, art ou vandalisme ? ». Commentaire.

Le problème que pose le graff est celui d’une définition de l’art : est-ce que c’est un contenu ou est-ce que c’est un geste ?

OL, en bon philosophe, cherche à identifier « le problème » philosophique du graffiti. Manque de bol, on a du mal à voir en quoi cette question de la définition de l’art se pose de manière exemplaire dans le cas des graffitis. On peut la poser, certes, mais comme on peut la poser à propos de nombreuses autres objets esthétiques contemporains. Du coup, les considérations qui vont suivre semblent parfaitement générales, et détachées de leur sujet.

C’est un contenu défini par un certain type de geste puisque c’est le résultat d’un mouvement du corps. Mais la question est : « est-ce que ce geste est orienté vers la matière ou orienté vers le spectateur ?,  est-ce que c’est un geste qui vaut par lui-même comme le geste du chanteur qui a déjà du sens pour lui? ». Chanter seul est déjà un plaisir physique et esthétique pour le chanteur lui-même. Les gestes de l’artiste, que la matière soit son corps ou que la matière soit un objet comme pour un peintre, ont déjà un sens plein pour lui-même en dehors de la reconnaissance sociale.

Bref, jusque-là, que du blabla. On s’en branle OL, parle-nous du graffiti.

Le problème que pose le graff est que c’est à la fois un geste qui a un résultat (ça colore une surface, ça se voit), et à la fois c’est sur un support qui n’est pas censé recevoir de l’art. C’est un geste qui est essentiellement transgressif et qui donc court le risque d’être réduit à sa volonté d’impact social.

On rentre dans le vif du sujet. Ok OL, tu as reformulé la question avec des jolis mots de philosophe, on attend ta réponse maintenant.

C’est un geste qui peut être nul esthétiquement et très fort politiquement.

On a un début de réponse : le graffiti peut ne pas être de l’art.

La question est celle du dosage entre cette composante politique (la valeur purement sociale du geste artistique) et la valeur artistique qui, elle, suppose le travail d’une matière.

Et voilà. Le graffiti est, une fois encore, réduit à un objet politico-esthétique. Il faut donc exiger de son auteur une certaine conscience politique pour qu’il puisse être considéré comme un artiste. C’est ce qu’OL va chercher à montrer.

Pour cela il se lance dans un raisonnement pseudo philosophique. Il lui faut d’abord poser que le graffiti peut être un pur acte de rébellion immature et vulgaire. Evidemment, le tag est la figure de ce graffiti apolitique, donc selon lui inesthétique.

Le risque de contradiction qui frappe l’acte du graffeur en plein cœur est d’être un acte purement réactif, de la même manière que le rebelle a besoin de quelque chose contre quoi se rebeller pour exister. Hegel disait que quand on se définit contre son autre, on n’est capable de ne se définir que par son autre. On est  complètement dépendant alors qu’on se croit autonome et rebelle. Quand le graff a pour seule fonction de laisser une trace, de tagguer, l’acte est réduit à une signature. D’une certaine manière, il manque le tableau autour de la signature.

Le tag est d’autant plus méprisable s’il choisit une « surface noble ». Au contraire, il prend tout son sens, et son unique sens, lorsqu’il choisit des supports sans « singularité ».

Cela est d’autant plus vrai si le tag ou le graff viennent se déposer sur une surface noble : tagguer le Parthénon est une dégradation. A l’inverse un tag qui viendrait se déposer sur un bâtiment qui n’a pas de singularité, même si le tag est peu développé esthétiquement vaut comme une dénonciation de la laideur du support. Ainsi, sans être lui-même forcément très beau, il invite à convertir le regard, offre une perspective esthétique sur un objet qui n’est pas fait pour ça. Le geste du graffeur a alors une valeur d’éveil, une valeur sociale, politique et esthétique. Le paradoxe  et la beauté du graff est que sa réussite est définie par son style propre, bien sûr, mais surtout par le support choisi. Le graffeur risque la faute de goût dès le choix du support. En fonction du support, ce sera donc du vandalisme ou une reconversion esthétique.

PO habille ici un argument  incontournable du discours réactionnaire et paternaliste envers les auteurs de graffitis, qui voudrait, pour le dire plus franchement, que le graffiti s’intègre mieux chez les pauvres et dans les poubelles de la ville que dans les beaux quartiers. Chez les riches, c’est une « dégradation », chez les pauvres, il a une « valeur sociale »…

D’ailleurs, c’est bien connu, les pauvres supportent mieux la saleté, les souillures et les agressions. Et ça tombe bien : le tag est une « pollution ». Douce, certes, mais une pollution tout de même.    

Le tag  correspond à ce que Michel Serres dans le Mal propre, appelle la pollution douce. Par opposition à la pollution dure (une marée noire par exemple), la pollution douce est une pollution par les signes, qui peut être désirée, comme lorsque l’on achète un objet de marque : l’objet est signé, ce qui d’une certaine manière le dégrade, mais la signature est désirée. Une montre ne donne pas que l’heure, elle donne aussi sa marque.

D’où la célèbre métaphore du chien qui pisse pour marquer son territoire. Pardon, du tigre. Le tagueur est un tigre ! Woh, ça c’est la classe. Mais un tigre un peu paradoxal : tout en défendant son territoire, il prétend lutter contre la propriété ! Quel con ce tigre !

L’acte de signer un objet est un acte  d’appropriation. De la même manière lorsque le graffeur taggue quelque chose, il s’approprie un espace, comme un tigre pisse à la frontière de son territoire. La dégradation, la signature a pour but essentiel l’appropriation : en polluant, je m’approprie l’objet. Le paradoxe du graffeur, c’est que tout en se prétendant un acte de rébellion contre la propriété (mur public ou mur qui ne lui appartient pas), fait par là un acte d’appropriation par la pollution. En apposant sa marque, il s’approprie l’espace.

Mais alors, comment sortir du paradoxe ? Comment faire du tigre un authentique rebelle ? OL nous propose une réponse inattendue : le tigre doit simplement… réfléchir ! Mais attention, il doit réfléchir très fort, être bien concentré. Grace à la puissance de son cerveau, il est capable de transformer un acte de vandalisme en « acte esthétique ».

Ce qui dépasse le simple acte d’appropriation du graffeur par sa signature, c’est sa réflexion, au sein même de ce paradoxe, sur le support, les matériaux utilisés, l’échelle, la visibilité… Toutes ces modulations, et une réflexion plus globale sur l’intégration et le détournement du lieu investi, enrichissent le graff et le transforment en acte esthétique. La question du support et la question de la propriété sont décisives. Le même acte, selon l’endroit où il est placé, peut ainsi relever du vandalisme ou de l’art.

C’est bien beau tout ça, mais pour le spectateur lambda, comment faire la différence ? Pas de problème rétorque OL, le spectateur voit tout de suite à quoi il a à faire. C’est beau, ou c’est pas beau, pas besoin de chercher midi à quatorze heure.

Il est rarissime d’avoir le sentiment qu’un acte appartienne aux deux. Quand un support est détourné de manière vraiment esthétique, quand le résultat est vraiment beau, personne n’a le sentiment de vandalisme.

D’ailleurs l’artiste graffiti ne peut pas être en même temps un vandale. Cela dépasse l’entendement de ce pauvre OL. L’art est beau. Le vandalisme est violent. Quelle belle leçon de philosophie !

Il est rare que quelqu’un capable de produire de la beauté veuille en même temps produire de la dégradation. La beauté qui dégrade un environnement n’existe pas. Un acte violent ne peut plus être esthétique car un objet d’art doit respecter la liberté de son spectateur, et d’une certaine manière ne pas dépendre de lui. La liberté du spectateur suppose une distance, et ainsi de ne pas être dans un rapport de besoin ou de légalité avec lui : on ne peut pas violenter son spectateur.

Pour parfaire son discours débile, OL va jusqu’à tenter d’expliquer une de ses contradictions les plus flagrantes par un nouveau tour de magie. Si le tigre est capable de transformer par psychokinèse une dégradation en œuvre d’art, le spectateur, de son côté, est capable de transformer la beauté en souillure par la seule force de son regard. Certaines dégradations donnent l’illusion de la beauté, elles trompent le spectateur naïf, mais heureusement OL est là pour rétablir la vérité. Une beauté illégale ne peut pas être vraiment une beauté.

Si quelqu’un est propriétaire d’un mur et que le graffeur vient tagguer son mur, même si le résultat est beau, par le rapport illégal et donc d’agression possible que le graffeur entretient avec son spectateur, il supprime la possibilité du sentiment de beauté. Or dans notre société, le droit de propriété relève de la liberté et est protégé par la loi. Donc si la liberté du propriétaire est violée, même Picasso qui aurait taggué un mur ne pourrait parvenir à faire du beau. Peut-être faut-il alors que le graff ait une dimension éthique pour qu’il ait une valeur esthétique et dépasse le simple vandalisme d’une signature rebelle.

Et voilà le travail. OL aurait pu se contenter déplacer le point d’interrogation de cette fascinante question. Le graffiti ? Art, ou vandalisme. Merci, nous voilà bien avancés.